Vue panoramique de Clermont-le-Fort
Les Amis de Clermont‑le‑Fort

Pierre Vié, la passion de l’archéologie

Naissance d'une passion

En 1851, à Clermont-le-Fort, sur le versant du coteau surplombant le ruisseau de l’Infernet, Jean-Baptiste Noulet trouva un galet de quartzite taillé associé à des fossiles d’une faune disparue, ce qui lui fournit la preuve que l’humanité était bien plus ancienne que ce qu’on avait cru jusque-là. En 1956, les préhistoriens toulousains, Jacques Paloumé et Louis Méroc, directeur du Museum, profitèrent de la célébration du centenaire de ces fouilles qui permettait une aide financière de l’Administration pour rouvrir le site et vérifier les conclusions de Noulet.

A l’époque, même programmées officiellement, les fouilles archéologiques étaient encore l’œuvre de bénévoles. Pour ces fouilles de 1955-56, une note du compte rendu énumère les dix-sept personnes qui y participaient : trois dames et quatorze messieurs, parmi lesquels deux Clermontois, Simon Laguens et surtout Pierre Vié . Tous les deux issus du monde paysan observent les effets de la généralisation récente des tracteurs : dans la terre labourée plus profondément apparaissent toutes sortes de vestiges. Il n’y a qu’à se baisser pour ramasser tessons d’amphores, fibules, monnaies, ossements… La fouille de l’Infernet fut pour Pierre Vié le début d’une passion. Elle le mit en contact avec le milieu des archéologues, amateurs passionnés plus souvent qu’universitaires ou spécialistes officiels. Louis Latour, instituteur, préparant l’ouverture d’un chantier à Auterive, se rappelait avoir reçu, un dimanche soir, la visite d’un petit groupe : c’étaient MM. Méroc, Fouet, Baccrabère, Bosc « et Pierre Vié ».

L'infernet 1955 1

L'infernet 1955 2

La rencontre la plus décisive fut certainement celle de Georges Fouet. Les notes du spécialiste de Montmaurin rapportent que Pierre l’invite à Clermont un dimanche de janvier 1958 et lui montre les morceaux d’amphores, de tegulae, de dolia, trouvés près du Piteau ou de Marcounat ainsi que les tombes mises à nu par le tracteur de Simon Laguens au Bonnetier. Les dimanches suivants, la même équipe se retrouve à Goyrans, Venerque, Castanet…

A Vieille-Toulouse commençait une recherche très prometteuse : la découverte de ces « puits » dont la fonction reste une énigme. Sur le plateau de La Planho, laboureurs ou propriétaires terrains signalaient des fragments de murs et de poteries affleurant à la surface : en creusant sur une dizaine de mètres, on trouvait un entassement de vases, d’amphores, de poteries en divers états dont la signification suggérait plusieurs hypothèses. Dans son carnet de fouilles, au printemps 1959, Georges Fouet mentionne les conditions météorologiques et le nom des participants : pour chaque date, une dizaine de personnes, Pierre en fait partie. Le dimanche 28 juin, outre les bénévoles habituels, est notée la présence de Michel Labrousse, directeur du Musée Saint-Raymond. Pierre est au fond d’un puits de plusieurs mètres quand une masse de terre s’éboule sur lui. Il est aussitôt secouru mais sa colonne vertébrale est brisée : ambulance, hôpital, opération, rééducation… puis une vie en fauteuil roulant… Comment survivre à un tel accident ?

Cinquante-deux ans en fauteuil roulant

L’expérience du laboureur, du maçon, puis celle des fouilles, un esprit curieux et des aptitudes particulières ont ouvert à l’infirme une seconde carrière. Les compagnons de fouille, familiers du musée Saint-Raymond, trouvèrent des possibilités pour rémunérer Pierre par des travaux en lien avec l’archéologie. Il sut se perfectionner dans les techniques de la poterie ou la taille du bois.

1) Restaurateur des produits de fouilles et artisan potier

Il devint restaurateur attitré des vases, amphores, bijoux et tous objets trouvés dans les fouilles. Travail qui suppose vérifications et recherches : comment refaire le pied d’une amphore d’un modèle inhabituel ? En témoigne la dizaine de lettres adressées par Pierre et conservées dans les archives de Georges Fouet. Les messagers qui apportent ou viennent chercher les objets tiennent Pierre au courant de l’avancement des fouilles. On en était à la découverte du premier puits quand survint l’accident. Pierre eut à travailler sur les objets provenant des neuf autres découverts par la suite !

Pour effectuer ce travail, il dut se munir d’outils appropriés : tour et outils de potier …Dans son atelier, Pierre savait façonner des copies de lampes à huile, des objets souvenirs vendus à Montmaurin, des vases, balustres, croix de Toulouse cuits dans la briqueterie de Grépiac…. De son travail du bois témoigne la copie de la statue de Notre-Dame des Bois présentée dans l’église de Clermont. La maison de Pierre était un petit musée où étaient déposées ses créations et les découvertes déposées par les amis et connaissances.

Mais je veux aussi parler de son travail sur les terres de Clermont dont il avait une connaissance particulière, un travail dont je suis en fait seule dépositaire.

2) Le travail sur Clermont

a) La copie du cadastre napoléonien.

Je pense qu’avant l’installation dans sa maison neuve du tour de potier et des outils appropriés, la première tâche à laquelle put se consacrer le trentenaire devenu subitement invalide fut la copie intégrale, en couleur et en grand format des six feuilles du cadastre clermontois de 1808. Un travail soigné et précis, fidèle et plus parlant par ses fraîches couleurs que les exemplaires conservés aux Archives départementales ou à la mairie dont les couleurs sont pâles ou même passées. Sur la copie de Pierre, de fraîches couleurs font apparaître dans le découpage du parcellaire les deux types de propriété : d’une part les minces bandes résultant des partages des communaux aux temps de la Révolution, d’autre part les vastes parcelles des grandes propriétés… Et pour l’usage des terres, il fait distinguer les forêts des broussailles par deux sortes de vert tandis que le jaune vif des vignes en fait apparaître un nombre étonnant sur de toutes petites bandes… Pour chaque hameau, un plan agrandi est donné dans les marges. J’ai photographié ces feuilles et j’en reproduis des fragments dans mon étude sur la toponymie de la commune à côté des copies moins contrastées des exemplaires officiels.

b) Le classeur

Un classeur de format 21/29 complète ces plans en rassemblant les données que Pierre a personnellement recueillies ou que lui ont apportées ses collègues agriculteurs ou fouilleurs : pour chaque quartier est dessiné le plan des parcelles, avec l’implantation des maisons et des chemins, chaque plan étant complété par un dessin esquissant le profil des objets qui y ont été trouvés : haches, fibules, rouelles, meule néolithique, verrerie, monnaies, bijoux, poteries, débris romains ou médiévaux…. Pierre s’est intéressé à toutes les époques et à toutes les traces d’activités humaines : souterrain-refuge, fosse à offrande, traces de foyers, silos, moulins à nef… C’est un document très riche et très original.

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L’accident de Pierre Vié se situe à un tournant, la fin d’une époque où la recherche archéologique progressait grâce à des amateurs passionnés qui utilisaient leur temps libre et souvent leurs ressources personnelles. Dans les carnets de fouille de Georges Fouet, on voit parmi les fouilleurs un gendarme, des dames de la bourgeoisie, des couples, des lycéens, des professeurs… Les jours de fouilles sont les samedis, les dimanches et les jeudis (en ce temps-là, le jeudi était le jour libre dans les écoles). La référence universitaire est bien assurée par la présence de Méroc, de Georges Fouet, de Michel Labrousse, mais le lien avec les institutions culturelles est plus ou moins lâche : si la présence à Vieille-Toulouse de Michel Labrousse, le jour de l’accident est signalée, c’est que ce n’était pas toujours le cas… L’accident de Pierre Vié, c’est la fin d’un bénévolat spontané, insouciant des risques, sans programmation officiellement définie et la manière dont il a survécu est une réussite personnelle assez exceptionnelle.