Le site gallo-romain de La Bourdette
Florentin Ducos, avocat à Toulouse, possède à Clermont le manoir de la Bourdette. Ce membre de l’Académie des Sciences Inscriptions et Belles-Lettres suit de près les travaux de redressement de la route de Venerque, l’actuelle D 35. En 1851, il a alerté Noulet et permis la découverte du gisement préhistorique. Quelque temps après, lorsque les travaux touchent sa maison, ce sont les premiers siècles de notre ère que décrit cet archéologue amateur.
EXTRAIT DES MÉMOIRES DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES DE TOULOUSE (4° série, T.4, 1854, p. 358-367)
Notes sur quelques antiquités découvertes dans la commune de CLERMONT par M. Ducos.
Messieurs, L’année dernière, mon ami et savant confrère, M. le Docteur NOULET a entretenu l’Académie de quelques découvertes paléontologiques qui furent faites pendant 1’automne de 1851 dans le territoire de la commune de CLERMONT située dans la circonscription du canton de Castanet, arrondissement de TOULOUSE. Monsieur NOULET vous communiqua un mémoire sur un dépôt d’alluvion, renfermant des ossements fossiles. Cette découverte à laquelle je n’étais pas étranger, puisque je fus le premier à la signaler aux savantes études de notre confrère, consistait en quelques dents et une très belle défense d’éléphant de la grande espèce, avec quelques autres fossiles non moins intéressants. J’ai le plaisir d’annoncer à l’Académie qu’en pratiquant un déblai pour la continuation du chemin vicinal de grande communication n° 13, tout près du terrain où la découverte de 1851 avait été faite, l’on a trouvé dernièrement d’autres dents d’éléphant, et la seconde défense appartenant apparemment au même pachyderme. Ces échantillons fossiles qui, selon toute apparence, appelleront de nouvelles observations de la part de M. NOULET, sont entre les mains de M. BERGIS, agent voyer de l’arrondissement de Toulouse. Mais ce n’est pas seulement sous le rapport de découvertes appartenant à l’histoire naturelle, que le territoire de la commune de CLERMONT se recommande à votre intérêt, il offre encore aux méditations de l’archéologue des objets dignes d’être étudiés. Tout nous démontre que cette contrée a conservé des traces incontestables et faciles à reconnaître d’un établissement fait par les Romains à l’époque où elle subit leur domination. Les travaux opérés pour la construction ou 1’élargissement du chemin de grande communication dont j’ai déjà parlé, ont donné lieu à des déblais considérables. Dans ce mouvement des terres, il a été trouvé sur la propriété que je possède à CLERMONT, divers objets qui remontent à une antiquité plus ou moins reculée, et dont je viens, vous soumettre l’ examen. J’ai pensé qu’il ne serait pas indigne de fixer un moment votre attention.
Après avoir présenté à ses collègues la commune de Clermont, sa situation, sa géologie, ses caractéristiques, Florentin Ducos décrit ce qui est apparu aux abords de sa propriété.
Elle est partagée par le chemin de grande communication n° 13. Ce chemin qui se dirige du nord au midi, forme aujourd’hui une ligne droite ; l’ancien chemin élargi a été rectifié. Autrefois, - et il est facile de le vérifier avec l’ancien plan cadastral- ce chemin traçait une ligne semi-circulaire du côté du levant. Dans l’espèce de demi-cercle tracé par cette ligne, il existait une construction romaine, une villa. Cette conjecture, douée d’une grande vraisemblance, est justifiée par les nombreux débris que j’ai trouvés, dans le champ où s’élevait la villa. Ce sont des briques romaines, c’est-à-dire à rebord, qui foisonnent. L’on a extrait de ce champ, dans plusieurs circonstances, une grande quantité de morceaux de briques. Chaque fois que l’on fouille un peu dans ce terrain, l’on est sûr d’en extraire de nouvelles quantités. Ce sont encore des débris de mosaïques attestés par les innombrables cubes désagrégés dont ce champ a été jonché pendant longtemps mais qui, aujourd’hui, sont devenus un peu plus rares ; j’ai pu cependant m’en procurer une assez grande quantité. Parmi ces cubes, que je mets sous les yeux de l’Académie, on remarque une petite pierre noire carrée, qui certainement a été taillée, et qui, malgré les dégradations qu’elle a souffertes, a conservé le poli sur une de ses tranches ; cette pierre devait servir d’ornement à quelque mosaïque. La villa a dû être transformée plus tard en une chapelle chrétienne consacrée sous l’invocation de Saint-Hilaire dont ce quartier a conservé le nom. A son tour la chapelle a été renversée ; c’est ce qu’attestent des fragments de marbre d’une assez grossière qualité, dont la présence ne peut être expliquée que par la conjecture qu’ils devaient servir d’ornements à quelque édifice sacré. La dévastation s’ est promenée sur ce champ ; l’on croit qu’il a été le théâtre de quelque collision sanglante, d’un de ces grands duels que les peuples se livrent entre eux. Mais la chapelle n’a pas été plus épargnée que la villa romaine ; la destruction n’a pas laissé pierre sur pierre. Indépendamment des tuiles à rebord dont je n’ai pas apporté d’échantillon comme étant une chose trop commune, j’ai trouvé beaucoup de briques à damier. En voici quelques fragments. Je dis fragments car il n’y a rien d’entier ; tout a été brisé. L’on remarquera que les carreaux sont en creux et faits avec peu de:soin ; les lignes en sont baveuses et incorrectes ; l’une de ces briques porte quelques lettres. Je me suis demandé si c’est le nom du fabricant, ou si ce ne serait pas les débris d’une inscription ; il est possible que le mot DIVA ait été gravé, on lit bien IVA mais on ne voit pas le D qui peut avoir été effacé, car il est survenu une dégradation précisément dans la partie de la brique où cette lettre devait se trouver. L’on se demandera maintenant à quel usage étaient destinées ces briques si grossièrement façonnées. Certainement on ne s’en servait pas pour construire ; on ne se serait pas donné la peine de ce travail qui, tout informe qu’il est, devait exiger quelque soin. Ce n’était pas non plus pour servir, à un carrelage, sur lequel, il eût été peu agréable de marcher. Etait-ce une manière d’ornement que l’on appliquait à l’intérieur ou à l’extérieur des murs ? On serait tenté de le croire et cette conjecture serait confirmée par la circonstance d’un trou rond que l’on voit à l’un des fragments que j’ai rapportés : ce trou, pratiqué dans la brique tendre, comme le prouve le petit rebord que l’on remarque, ce trou, fait avec soin, était ménagé pour introduire une cheville qui fixait la brique contre le mur, et à la place qu’elle devait occuper. Mais alors, en quel état de barbarie devaient être les arts, dans un pays où des ornements aussi grossiers pouvaient avoir quelque valeur ou quelque emploi ? J’ai ramassé dans le même champ, une hache celtique qui a conservé un reste de tranchant. J’en avais trouvé plusieurs ; je vous présente la moins dégradée. Cette pièce archéologique peut servir à prouver que cette contrée était déjà habitée à une époque extrêmement reculée et bien antérieurement à l’établissement romain. J’y ai trouvé encore deux morceaux de verre antique, dont l’un surtout est parfaitement irisé. Ces fragments qui figurent des portions d’anses doivent avoir appartenu à quelque vase, peut-être à quelque petite urne destinée à recueillir des cendres humaines. Cette conjecture est très vraisemblable car, comme vous allez le voir, il a été trouvé dans le voisinage des débris nombreux et considérables de grandes urnes cinéraires en poterie, comme celle que l’on découvre à Vieille-Toulouse. L’on conçoit que, dans la classe aisée, l’on ait dédaigné une poterie grossière et donné la préférence, pour recueillir des dépouilles chéries, à des vases d’un travail plus élégant et d’une matière plus précieuse. Le champ situé de l’autre côté du chemin de grande communication est encore aujourd’hui appelé le Cimetière. Il est incontestable qu’anciennement, ce terrain était destiné à la sépulture des morts. Indépendamment de son nom qui suffirait pour le démontrer, les débris que l’on trouve en fouillant la terre en fourniraient la preuve irréfragable ; vous savez d’ailleurs que ce champ, avant la rectification du chemin et dans les temps anciens, tenait et touchait d’abord à la villa, puis à la chapelle dont je vous ai parlé. Ces débris sont de deux sortes et divisent, pour ainsi dire, le champ en deux parties : au nord, on ne trouve que des ossements humains, des débris de squelettes ; au midi, au contraire, tout ossement a disparu, on ne trouve que des débris d’urnes cinéraires, qu’une terre qui a la couleur de la cendre et à laquelle sont mêlés de petits fragments de bois brûlé. Je mets sous vos yeux deux échantillons de cette terre. Je ne crois pas m’avancer trop loin dans le champ des conjectures, en disant que ces débris de bois brûlé sont des restes de quelque bûcher qui avait servi à consumer des cadavres humains. Ainsi, tandis qu’une partie de ce terrain recevait le cadavre inhumé, 1’autre partie ne recevait que les cendres des restes brûlés. J’ai même trouvé dans cette partie une pièce de cuivre romaine ; c’est une médaille petit-bronze du plus petit module, sur laquelle on voit une tête à diadème, médaille fruste qui trompe la curiosité de l’archéologue car on ne peut rien y lire, mais qui représente parfaitement le denier de Caron. J’ai cherché une signification à ce double fait de 1’inhumation chrétienne et de l’incinération païenne, en présence l’une de l’autre dans le même champ, ainsi divisé. Ne serait-il pas possible, me suis-je dit, que, dans des temps extrêmement reculés, à une époque où’ l’établissement du christianisme encore récent avait pris cependant une certaine consistance dans nos contrées, l’on eût partagé le champ destiné aux sépultures et que, par une tolérance devenue nécessaire, on eût fait la part de chaque religion ? Ici encore nous sommes forcés de nous livrer aux conjectures. Les documents font défaut ; absence de toute espèce de charte, de titre. La commune de CLERMONT a été dépouillée de son passé, qui était peut-être fort intéressant. Je n’ai pu découvrir aucun vieux papier. Les archives se réduisent aux actes de l’administration moderne, et à un livre terrier qui remonte à peine à deux cents ans.
Le déblai occasionné par l’élargissement du chemin a amené la découverte de quelques autres objets. Ce sont d’abord deux médailles romaines ; l’une est un grand bronze avec la tête de Vespasien, médaille tout à fait fruste, l’autre est un moyen bronze représentant Titus, pièce un peu moins fruste que la précédente. En second lieu, l’on a trouvé une pièce en cuivre, qui ressemble à un ornement de selle ou de cuirasse. Cette pièce d’un travail assez curieux, paraît remonter au IIIe siècle. Elle devait avoir deux espèces d’oreilles qui, au moyen du trou qui se voit encore et à l’aide d’un clou ou d’une cheville, servaient à la fixer à sa place. Une seule oreille est restée. L’on a trouvé un autre ornement en cuivre aussi avec des trous qui indiquent que cette pièce devait être clouée à quelque porte de tiroir ou d’armoire. L’artiste a modelé la tête d’un ange, ou plutôt d’un démon ; car la figure est ignoble. L’on a donné au front une protubérance ridicule, et figuré des ailes qui ressemblent moins à des ailes d’anges qu’à des ailes de chauve-souris.
Il me reste à vous entretenir de trois objets qui ont été découverts en divers, lieux. C’est, 1° premièrement, une pièce de monnaie en cuivre très mince. Je regrette d’être trop étranger aux études numismatiques, pour pouvoir vous fournir 1’explication de cette pièce ; je me bornerai à la décrire. D’un côté, l’on y voit trois fleurs de lys et trois couronnes, disposées en rond et s’alternant. De l’autre côté, l’on remarque un globe surmonté d’une croix et entouré d’une double bordure de festons assez bizarrement dessinés. Les caractères de 1’exergue sont à peu près illisibles, on n’y voit clairement que le chiffre arabe 18 ou 8l, suivant le sens dans lequel on le prend, sans que j’aie pu savoir à quoi il se rapporte. Il me paraît seulement démontrer que cette pièce est une monnaie impériale. A-t-elle été frappée sous un de nos rois, à l’époque où la couronne de France était unie à la couronne de l’empire ou bien nous est-elle venue des états impériaux ? Je l’ignore. Seulement, je crois cette dernière hypothèse peu fondée, parce que les caractères que l’on entrevoit ont une physionomie tout à fait française, ou peut-être espagnole ; Dans ce dernier cas, il serait possible que l’exergue portât le nom de Charles Quint.
2° Deuxièmement, une médaille romaine, moyen bronze, d’une parfaite conservation, avec la couche de patine antique que l’on aime à retrouver sur ces pièces. L’effigie est de Décentius Magnus : ce prince, qui était le frère de Magnence, fut élevé à la dignité de César et obtint le commandement des troupes dans les Gaules. Le revers présente deux victoires qui portent un écusson dans lequel on aperçoit une inscription ; mais 1’ imperfection des caractères en rend la lecture très difficile et, pour moi, tout à fait impossible.
3° La troisième pièce, et la plus intéressante, est une figurine en bronze qui malheureusement a été trouvée dans un état déplorable de mutilation. Les membres inférieurs sont coupés aux genoux ; le bras droit est tranché au-dessus du coude ; le poignet et une partie de l’avant-bras manquent au côté gauche. Au dessus de la tête, il existe une autre mutilation. La figurine est un Apollon ou un Mercure. La pose indiquée par l’artiste n’est pas celle de Mercure, et semble désigner un Apollon mais l’espèce de coiffure ou d’ornement qui devait couvrir la chevelure, et dont la dégradation a laissé subsister la trace, s’applique évidemment à Mercure. Là devait se trouver le petasus surmonté de deux ailes, attribut, particulier de ce dieu. Cet ornement fragile est facilement tombé sous le coup d’une pioche malencontreuse. Il paraît donc plus rationnel d’attribuer la figurine au dieu de l’éloquence.
Tels sont, messieurs, les débris d’antiquités que le hasard a fait rencontrer à la superficie du sol de la commune de CLERMONT. Je suis convaincu que des fouilles, pratiquées avec système et conduites avec intelligence, amèneraient des résultats bien autrement intéressants.
Mais du peu qui a été découvert, j’ai conclu qu’il avait été fait un établissement romain dans cette localité ; qu’il y avait à l’époque de l’occupation romaine une villa, ce qu’attestent les nombreux débris de mosaïques qu’on y trouve encore ; peut-être même un temple, qui, plus tard, a été transformé en chapelle chrétienne, avec l’accessoire indispensable d’un cimetière.(...)
Florentin Ducos n’est pas un véritable archéologue : sa culture classique le rend attentif à tout ce qui est romain. Il attribue aux Celtes une hache : mais n’est-ce pas un préjugé de l’époque de voir partout le monde celte ? La pièce en cuivre qu’il considère comme un « ornement de ceinture ou de cuirasse » est très probablement une plaque-boucle wisigothique ou mérovingienne. Comme lui, il faut regretter que de véritables fouilles n’aient jamais été faites.