Les Pégaus : des poteries wisigothiques ?
Extrait du Bulletin de la Société Archéologique du Midi de la France, n°40, pages 8 à 15.
Sur les découvertes faites au XIXe siècle, nous connaissons aujourd’hui ce que les érudits du voisinage ont communiqué aux sociétés savantes toulousaines dont ils étaient membres. Voici ce que l’on sait des poteries trouvées vers 1860 près du "tumulus" de Clermont par l’instituteur Siadoux grâce à la communication que fit à la Société Archéologique du Midi Casimir Barrière-Flavy (1863-1927). Cet avocat, chatelain de Puydaniel près d’Auterive, est connu pour ses travaux d’érudition sur les vestiges laissés par les peuples barbares de la Gaule du Ve au VIIIe siècle. On voit dans ces lignes que Barrière-Flavy sait bien que le "tumulus" de Clermont n’est pas une tombe mais un ouvrage défensif, poste d’observation ou tour à signaux.
M. Barrière-Flavy, membre résident, fait une communication sur les objets d’une collection de M. Siadoux, ancien instituteur de Clermont, qu’il a acquise dernièrement.
Outils en pierre paléolithique et poteries du Moyen-Age de Clermont-sur-Ariège.
Barrière-Flavy décrit d’abord des pièces provenant des fouilles de Noulet. Les poteries du Haut Moyen Age sont la deuxième partie de la collection.
Les pièces principales qui sont à signaler proviennent pour la plupart du territoire de Clermont ou des lieux voisins et furent généralement recueillies aux abords d’une éminence dite La Motte, qui s’élève sur le coteau dominant le cours de l’Ariège, et que l’on aperçoit fort bien de la plaine. Cette Motte appartient à cette catégorie de monticules qui ont depuis longtemps attiré l’attention des archéologues, et surtout exercé l’imagination populaire, ainsi, du reste, que ces excavations souterraines, sortes de galeries plus ou moins étendues que le hasard révèle parfois au milieu des champs sous les pas des laboureurs.(...)
Voici maintenant une série de fragments de poteries, becs, goulots, anses, débris de panses... rencontrés sur le territoire de Clermont et auxquels il est assez malaisé de fixer une date. Nous possédons heureusement de nombreux termes de comparaison qui facilitent notre étude, principalement un excellent travail de M. de Saint-Venant qui est venu jeter quelque lumière sur la question bien confuse de l’origine de cette céramique. Il y a environ un demi-siècle que ces pièces sollicitèrent l’attention de quelques archéologues qui se spécialisaient dans l’étude de la poterie ancienne. Ils ne retrouvaient là ni le galbe, ni l’ornementation, pas plus que la pâte et la couleur des poteries romaines, ni, d’autre part, la technique de la céramique gauloise. D’ailleurs, l’absence de vernis et la facture assez grossière de ces vases ne pouvaient les faire attribuer au bas Moyen-âge. Certains érudits furent amenés à les considérer, d’après les lieux déterminés où on les trouva, comme contemporains, mais à une époque imprécise, des Ages préhistoriques de la pierre ; d’autres les fixèrent à l’époque gallo-romaine, à cause des gisements qui les renfermaient. En fait, ces types de poteries ont, d’une manière générale, été recueillis dans des conditions spéciales, tantôt dans l’intérieur ou autour des mottes, tantôt dans ces galeries souterraines dont la détermination n’est pas encore définitive, mais très rarement, et par suite, peut-être, de pure coïncidence, auprès de sépultures préhistoriques ou gallo-romaines. On a trop souvent voulu voir dans les monticules, des tumuli, des nécropoles d’une plus ou moins grande importance, et que les fouilles ont le plus fréquemment ramené à un simple amoncellement de terres tassées depuis des siècles, et sur lequel exista jadis un retranchement quelquefois entouré d’un fossé, ou bien encore un poste d’observation ou une tour à signaux. Les mottes de ce genre apparaissent habituellement sur les points culminants des coteaux ; on en voit aussi le long des voies antiques. Parfois encore, ces monticules ne sont dus qu’à quelque phénomène naturel et furent aussi utilisés aux mêmes usages. C’est généralement sur ces élévations ou aux alentours qu’existent des foyers depuis longtemps éteints, renfermant des débris de vases identiques à ceux qui nous intéressent, mêlés à des morceaux de fer, à des ossements d’animaux domestiques et quelquefois à des pierres taillées ou polies. (...)
Les becs et goulots de récipients de notre collection appartiennent bien en majeure partie à la catégorie de ces vases à becs que M. de Saint-Venant appelle Pégaus et qu’il a étudiés dans un excellent travail datant déjà d’une dizaine d’années. Le pégau constitue un type tout à fait à part. D’une manière générale et avec de nombreuses variantes, c’est un pichet sans col, dont la panse est presque aussi large que haute. Le pourtour de l’orifice est renforcé par un bourrelet le plus souvent épais, parfois aplati ou arrondi. L’anse ne dépasse pas le plan de l’ouverture. Du côté opposé, un gros bec en entonnoir se soude à l’ourlet du bord, sans l’interrompre, ce qui constitue une sorte de pont sous lequel coule le liquide. Une grossière ornementation en stries horizontales ou en zigzags décore seule la panse de ces vases. Tel est le type pur du pégau, selon M. de Saint-Venant. Naturellement, les variantes, les transformations sont nombreuses ; le goulot se modifie en tubulure à ouverture trilobée, tantôt tout à fait dégagée, tantôt reliée à l’orifice du vase par un coude ; le récipient lui-même se rencontre ou plus allongé, ou plus écrasé.
Les fragments recueillis à la Motte de Clermont sont bien caractéristiques, soit qu’ils aient fait partie de la panse, soit qu’ils forment entièrement le bec ou l’anse. M. de Saint-Venant signale un spécimen de récipient dont le goulot est réuni à l’ourlet par un bras coudé, et qu’il attribue au quinzième et même au seizième siècle. Nous en possédons un semblable. Il convient encore de mentionner un grand fragment et plusieurs débris de couvercles ornés de grossiers zigzags. Il se peut qu’ils appartiennent à une poterie d’une époque antérieure. Enfin, de très nombreux fragments de même pâte et de même couleur proviennent de vases de dimensions diverses, d’urnes à destination peut-être funéraire. Les bords en sont épais, arrondis ou aplatis, et accusent parfois un récipient de très grande dimension. C’est ainsi que les débris que je possède peuvent avoir fait partie de vases dont la circonférence à l’ouverture varie de 0,30 à 0,45, 0,50, 0,70 et jusqu’à 1,30 m, chiffre relevé pour une urne à pâte épaisse et grossière, à rebord à peine accusé. M. de Saint-Venant assigne à ces poteries une aire de dissémination qui correspondrait assez bien avec la province de la Langue d’Oc, débordant toutefois ses limites à l’Ouest. En outre, le pégau, qui semble bien être un ustensile méridional, occupe à peu près la région où dominèrent les Wisigoths au cinquième siècle, avec quelque empiétement, il est vrai, sur le royaume des Burgondes. « Les choses sembleraient un peu s’être passées, écrit M. de Saint-Venant, comme si c’était aux Wisigoths que remonterait l’invention ou tout au moins l’importation de ce modèle si tranché ». Et l’auteur se demande s’ils ne l’auraient pas importé d’Italie. Cette céramique a-t-elle pris naissance au cinquième siècle avec l’apparition de ces peuples, les plus civilisés, les plus romanisés des barbares, et aurait-elle disparu peu après l’abandon de la Gaule méridionale par les Wisigoths ?