Clermont-le-Fort aux temps géologiques
Texte écrit par Bernard Crochet pour le Journal de Caminarem
Safari miocène en pays clermontois
Tous les « caminaïres » du pays clermontois peuvent lire sur la stèle de l’Infemet que, dès 1851, dans ce vallon devenu fameux, Jean-Baptiste Noulet, l’un des fondateurs de la Préhistoire « prouva par ses recherches l’existence de l’homme fossile ». Ce résultat fut obtenu à partir de l’observation minutieuse des formations superficielles qui tapissent les versants et les fonds de vallons et qui se sont déposées au Quaternaire soit entre 0 et - 1 million d’années (Ma) lors de l’enfoncement du réseau hydrographique. Mais Noulet fut aussi un géologue et surtout un grand paléontologiste dont les travaux majeurs portèrent sur les molasses oligomiocènes du sous-sol du Tolosan et des régions voisines. Après l’observation sur le terrain d’un affleurement de cette molasse à Clermont le Fort, ce sont ses travaux qui nous guideront pour reconstituer le paysage clermontois qui, lors de son dépôt, était bien différent de ce qu’il est aujourd’hui.
La molasse clermontoise et sa genèse
A quoi correspond donc ce terme de molasse ?
En Suisse, il désigne une roche plutôt dure dans laquelle on peut tailler des meules, d’où son nom. Au contraire, en France, il désigne des roches plutôt tendres, très sensibles à l’altération, d’où parfois l’orthographe mollasse. En fait, actuellement, ce terme ne désigne plus une roche précise mais une formation, c’est-à-dire un ensemble de roches résultant du démantèlement d’une chaîne de montagne. Comment se présente cette molasse clermontoise ? Elle forme la totalité du substratum de la région mais on ne la voit que rarement car, particulièrement altérable, elle est presque toujours masquée par ses propres débris, ceux-ci pouvant rester en place ou donner naissance à des solifluxions. Le tout est encore recouvert par une pellicule de sol d’épaisseur variable. Ce n’est donc qu’à l’occasion de déchirures localisées, provoquées par des incisions violentes de l’érosion ou des entailles humaines (carrières, talus de routes etc..) que la molasse devient visible. L’Ariège, par son travail de sape incessant a dégagé quelques belles falaises sur toute sa rive droite. Celle située sous la maison du village, immédiatement au N-W du Fort, bien que d’accès dangereux, permet une bonne observation de la molasse clermontoise. On y distingue 6 séquences regroupées en 2 types (fig. 1) : d’une part les séquences 1, 3, 4 et 6 vivement colorées, ocre beige à marron et, d’autre part, les séquences 2 et 5 plus ternes et grisâtres. Sur le plan géométrique, les premières se caractérisent par des matériaux bien stratifiés, en couches d’épaisseur variable (quelques dm), toujours globalement concordantes et horizontales alors que celles du deuxième type paraissent plus irrégulières, parfois lenticulaires ou d’aspect massif et sans stratification visible. Cette dualité géométrique s’accompagne d’une dualité pétrographique. Les séquences du premier type sont constituées essentiellement par des marnes (mélange d’argile et de calcaire), ocres, colorées par la présence de fer plus ou moins oxydé. Ces marnes sont toujours un peu sableuses et, quand la proportion de sable et de calcaire augmente, elles deviennent plus claires, un peu plus résistantes, formant alors des barres en saillie. On peut même passer à des calcaires marneux comme ceux constituant le substratum du Fort ou ceux armant la colline dominant les Fraysses avec sa végétation calcicole et sub-méditerranéenne. Quant aux séquences du deuxième type, elles sont constituées par des roches détritiques plus grossières, le plus souvent de sables contenant souvent des micas altérés. Qualifiés d’ « argerènes » par les anciens auteurs, ils sont aussi appelés « sables de renard ». Certaines lentilles plus grossières, en particulier à la base des séquences, sont formées de graviers centimétriques surtout siliceux (quartz, quartzite, lydienne etc.). Enfin, il peut se produire une certaine cimentation qui conduit à la formation de grès et de microconglomérats comme on peut en voir dans le talus de la route, à la base de la côte de Rive d’Aygue. Dans ce cas, la géométrie primitive a été conservée et l’on peut y reconnaître une stratification entrecroisée (dite aussi en brouette) caractéristique des dépôts de chenaux fluviaux.
Quelle est la genèse de cette molasse ?
D’après l’ensemble de ses caractéristiques, il est clair que la molasse de Clermont correspond à une accumulation de sédiments fluviatiles : les matériaux des séquences du premier type se sont formés par décantation au fond d’une étendue d’eau calme et très peu profonde tandis que les matériaux des séquences de type 2 ont été piégés dans les chenaux qui alimentaient ces marécages au cours d’inondations successives. Lors d’une crue, l’eau qui recouvre toute la plaine d’inondation porte des grains de sable de petite taille mais surtout beaucoup de particules argileuses en suspension ainsi que des carbonates en solution. Par décantation et précipitation chimique va se déposer une pellicule de boue argilo-calcaire, légèrement sableuse, qui, par diagenèse, deviendra une couche élémentaire de marne. Au cours des siècles, une strate décimétrique de marne prendra corps, parfaitement horizontale et qui, à certaines périodes, pourra se trouver hors d’eau. En surface, pourra alors se former un véritable sol porteur de végétation : la marmorisation, la nodulisation et la prismation que l’on observe aujourd’hui dans ces marnes sont les témoignages des paléosols qui se sont succédé au Miocène, dans la région de Clermont. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne du chenal, la quantité des particules transportées se réduisant au profit de la phase soluble, il se forme alors des marnocalcaires ou des calcaires marneux comme ceux des Fraysses ou du Fort. En position très périphérique (Saint-Ybars), à l’abri de l’arrivée des eaux boueuses, des calcaires francs peuvent, exceptionnellement, se déposer témoignant de zones lacustres où prospérait une malacofaune variée : Planorbes, Limnées, Physe etc.. Jean-Baptiste Noulet fut le grand spécialiste de l’étude de ces « coquilles fossiles » et ses collections, conservées au Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse, sont une référence mondiale pour les spécialistes des Gastéropodes fossiles lacustres. C’est également dans ces marnes et marno-calcaires que sont conservés des empreintes de feuilles et des pollens comme à Grépiac où les assises, mieux cimentées donc plus résistantes, forment des ressauts dans le lit de l’Ariège. Dans le chenal lui-même, à la fin des crues, se trouvait abandonné le matériel le plus grossier : sables, graviers et galets dont l’agencement géométrique, notamment l’inclinaison des galets et la géométrie des stratifications entrecroisées, nous permet de reconstituer la direction et la puissance des paléocourants pourvoyeurs : la dépression miocène de Clermont était alimentée par des rivières en provenance du Sud donc des Pyrénées. La taille des plus gros éléments, toujours inférieurs au dm, indique une énergie érosive bien inférieure à celle de la période précédente (Eocène) pendant laquelle s’élaborait, en position beaucoup plus proximale, une autre molasse dite syntectonique, le Poudingue de Palassou, à éléments parfois métriques, à couches plissées qui se déposait à mesure que s’élevaient les Pyrénées. Par opposition, la molasse clermontoise est dite post-tectonique en raison de l’horizontalité conservée des couches marneuses. Enfin, ces graviers des chenaux peuvent livrer des restes d’organismes : plaques de tortues, os et surtout dents de vertébrés qui ont été entraînés et abandonnés dans le lit du chenal comme de simples galets. En conclusion, l’évolution paléogéographique du site de Clermont au cours du dépôt de la formation observée témoigne d’une subsidence continue du bassin de réception associée à une divagation fluviatile permanente avec :
*- dans un premier temps (séquence 1), c’est une plaine d’inondation et les chenaux nourriciers sont en position latérale et n’atteignent pas la région ;
*-dans un deuxième temps (séquence 2), suite à des événements eustatiques ou tectoniques se produit un re-arrangement des réseaux hydrographiques et les chenaux s’installent en ravinant les dépôts précédents ;
*-dans un troisième temps (séquences 3 et 4), Clermont correspond de nouveau à une plaine d’inondation avec deux cuvettes successives d’orientation différente ;
*- dans un quatrième temps (séquence 5), des chenaux puissants reviennent dans le secteur en ravinant sévèrement les deux unités précédentes ;
*- dans le dernier épisode (séquence 6), se produit un retour au régime de plaine d’inondation.
Le peuplement de la cuvette clermontoise au miocène inférieur vers -20 millions d'années (fig-2)
La flore devait être assez exubérante avec d’immenses roselières dans les zones marécageuses, des forêts de feuillus (saules, charmes, ormes etc...) et de conifères dans les parties les plus sèches. La présence de palmiers et de nombreux canneliers lui donne un caractère subtropical, chaud et humide de cachet indo-malais.
La faune montre une étape importante dans l’épanouissement des mammifères et l’apparition de quelques uns des grands types actuels avec : - dans l’eau des marécages de nombreux reptiles, dont des crocodiliens et des tortues ; - en bordure des marécages, les rhinocérotidés, mangeurs de branches et de feuilles. Ils constituent le groupe prépondérant avec une espèce géante Diaceratherium aginense (1) et une autre plus petite Protaceratherium minutum (2). Ils cohabitaient avec l’espèce Bunobrachyodus (3), Anthracotheridé menant une vie semi-aquatique comparable à celle des hippopotames. - dans les forêts, des troupeaux de suidés dont Palaeocherus (4), ancêtre de nos sangliers, Hyotherium (5), plus petit et, sur les branches, des marsupiaux de type opossum tel Am-phiperatherium (6). - dans les prairies, des troupes nombreuses de véritables herbivores, bien que ne réalisant pas encore le type ruminant, mais s’en rapprochant par leur dentition et leurs membres légers et élancés (métacarpiens plus ou moins soudés en un os canon). Légers, gracieux et inermes, Dremotherium (7) et Chenotherium avaient l’allure des chevrotains actuels. - Ces herbivores étaient la proie de carnassiers, tels les Viveridés et les Ursidés, dont Amphicyon astrei (8), primitif par la morphologie de ses dents mais déjà un ours par les caractères de son crâne. Capable de bonds longs et puissants, plus rapide que les grands ours modernes, broyeur d’os, il jouait le rôle écologique du lion actuel s’attaquant aux proies de grande taille. Pour compléter ce tableau, n’oublions pas, au ras du sol, le monde des rongeurs et dans les airs celui des Chiroptères, micromammifères dont les dents sont activement recherchées par les vertébristes modernes : leur étude, associée à la révision des travaux de Noulet a permis à F. Duranthon de rectifier l’âge de la molasse de Clermont. Datée, autrefois, de l’Oligocène terminal, elle doit être rajeunie et attribuée au Miocène inférieur (entre -24 et-18 Ma).
Quelle conclusion tirer de ces observations sur la Molasse clermontoise ?
Pour les amateurs de safari exotique, inutile de voler au bout du monde. Muni des travaux de Noulet et de ses successeurs, que de paysages étranges on peut reconstruire en admirant tout simplement la grande falaise de Clermont qui surplombe l’Ariège.
BIBLIOGRAPHIE • Astre G. 1959 - Bull. Soc. Hist. nat. Toulouse, 94, p. 8-98. • Duranthon F. 1991 - C.R.Acad. Se. Paris, 313, II, p 965-970. • Noulet J.B. 1861 - Mém. Ac. Sci. Inscr. et B.L. Toulouse, 5, V, p. 125-173. • Richard M. 1946 - Mém. Soc. géol. France, 24, 52, 380 p. Merci pour leur aide efficace à P.O. Antoine, F. Duranthon, R. Mirouse, MF. Perret et Y. Tambareau.